Yaëlle Mayrargue, Business Analyste chez Hermès pendant huit ans, nous raconte son expérience dans ce métier peu connu, au sein d’une Maison en pleine expansion.

Pourriez-vous s’il vous plaît vous présenter et nous parler de votre parcours ?
J’ai 41 ans et je suis sortie de l’EM en 2004 après une formation généraliste, orientée gestion de projet et marketing.
J’ai obtenu mon premier emploi dans un métier que je ne connaissais pas : celui de prévisionniste des ventes chez Chanel Parfums Beauté. J’y suis restée cinq ans, avant d’évoluer chez Hermès qui cherchait à l’époque des profils de prévisionnistes. Ces deux opportunités m’ont été présentées grâce à l’emlyon, à la fois par sa plateforme d’offres et par le réseau que j’ai formé à l’école.
Mon poste de prévisionniste a évolué vers des missions plus larges de business analyste regroupant les prévisions de vente mais aussi des analyses de reventes en magasin (sell out). J’ai choisi la Maison Hermès parce que j’étais sensible à l’histoire de cette entreprise familiale, et intéressée par un poste transversal.
Pourriez-vous nous parler de la Maison Hermès ?
Il y a chez Hermès une grande tradition orale, un aspect secret. La Maison a été fondée en 1837 et cultive depuis ce qu’elle nomme « l’artisanat d’excellence » (et non « luxe »). Elle regroupe des métiers très différents, mais la maroquinerie est le plus important car elle constitue plus de la moitié de son chiffre d’affaires. Elle se distingue cependant d’autres grandes Maisons grâce aux arts de la table et Hermès Horizons, son service de customisation par les designers et ingénieurs Hermès de voitures, yachts… (ndlr : ci-après les liens pour consulter les posts Instagram Luxem sur la collaboration automobile entre Hermès et Rolls Royce et sur la customisation par Hermès de la McLaren de Manny Khoshbin: https://www.instagram.com/p/COPX5uXDSyj/?utm_medium=copy_link et https://www.instagram.com/p/CPoC71CDHDu/?utm_medium=copy_link)
J’ai intégré la Maison Hermès fin 2010 : et j’ai assisté à une grande évolution, en particulier au développement de la gestion de la pénurie et de la désidérabilité : il y avait de nombreuses problématiques de pénurie à gérer car les produits ont toujours eu une très forte attractivité auprès des clients.
Une grande évolution a aussi eu lieu sur les conditions de travail, car de jeunes diplômés comme des personnes avec 25 ans de Maison se côtoient au quotidien : cet enjeu du choc des générations nécessite une évolution qui conserve l’esprit Hermès. De nouvelles façons de travailler sont donc encouragées, un réel esprit start-up bien que le poids de la tradition demeure très fort. La Maison demeure ainsi désirable à la fois pour les étudiants de l’emlyon et les artisans, en s’impliquant dans les thèmes comme le développement durable, la façon de travailler et le rôle du luxe dans le monde d’aujourd’hui.
Quelles étaient vos missions en tant que Business Analyste et qu’est-ce qui vous plaisait le plus dans ce métier ?
Je faisais beaucoup d’estimation et de prévision, mais aussi de chiffrage en amont, par exemple lorsqu’il fallait prévoir une commande de peaux spéciales, rares et coûteuses, je travaillais sur l’estimation des quantités nécessaires en amont pour réduire les pertes.
J’ai également travaillé avec le département chaussures et en particulier avec son équipe commerciale chargée des ventes showroom sur la préparation des outils nécessaires aux directeurs de boutique pour acheter le mieux possible. Il s’agissait d’analyser le nombre de paires de chaussures optimal par modèle, couleur etc.
Les prévisions avaient aussi lieu en aval, une fois la collection en boutique, pour suivre quels produits se vendaient le mieux et optimiser les réassorts. J’ai ensuite été recrutée pour le développement des permanents, ces classiques Hermès disponibles en continu malgré les changements de collection, afin d’anticiper et de les produire sur prévision et plus sur commande. Cette mission rejoignait de nombreux enjeux de supply chain très intéressants.
J’aimais énormément la transversalité que permettait ce poste : la production, le commercial… J’avais le sentiment de faire des choses utiles avec un aspect très concret puisqu’en cas d’erreur les répercussions étaient immédiates.
J’ai beaucoup contribué sur l’outil d’aide à la décision, ce qui entraînait un usage très fréquent d’Excel, dont la maîtrise qui peut d’ailleurs être un très gros atout en termes de gain de temps.
Quelles sont à votre avis les qualités requises pour ce poste ?
Il me semble qu’il faut une sensibilité à la fois sur les produits et les chiffres, et une grande curiosité. En effet l’ouverture d’esprit, un bon relationnel pour questionner et comprendre les gens, leur travail et leurs besoins sont essentiels.
Il faut aussi aimer et maîtriser Excel, pour éviter de passer du temps sur des tâches à faible valeur ajoutée. Il faut réussir à améliorer ses performances en réfléchissant à une meilleure utilisation des outils à sa disposition. Je pense que les stages sont une très bonne porte entrée. Les bons stagiaires sont souvent gardés en CDD ou CDI, ou recontactés en cas d’ouverture de poste !
La formation de prévisionniste n’existe pas vraiment, l’idéal est un profil spécialisé en contrôle de gestion avec une envie de s’orienter vers des aspects plus commerciaux, ou un profil général avec une affinité pour les chiffres.
J’aimerais ajouter que les postes de Business Analyste doivent être considérés comme un tremplin pour d’autres postes en commercial, retail merchandising…etc. Il faut donc continuellement développer d’autres compétences en parallèle de son métier de business analyste, aller à la rencontre de ses collègues et ne pas s’enfermer dans les chiffres. On peut évoluer vers un poste de Business Analyste dans une autre division, par exemple passer de la maroquinerie à la soie, partir dans une filiale à l’étranger pour faire du retail merchandising, ou bien changer complètement de poste. La Maison Hermès propose de nombreuses passerelles, des rencontres d’entreprise…
Auriez-vous des conseils à donner aux élèves de l’EM qui souhaiteraient postuler chez Hermès ?
Au moment de postuler en stage ou pour un premier emploi, il faut faire attention à ne pas admirer sans filtre les Maisons de luxe. Elles attirent bien sûr de nombreux talents mais il faut se questionner sur ce que l’on souhaite y faire, comprendre la culture d’entreprise et les différents métiers qu’elle propose. Je conseille de contacter des professionnels de la Maison pour comprendre les métiers et obtenir des renseignements en amont, ainsi que de se renseigner sur la culture d’entreprise pour s’assurer qu’elle nous convient.
Si vous postulez mais que vous n’êtes pas recruté, ne vous démobilisez pas ! Multipliez les expériences ailleurs et tentez de postuler à nouveau ensuite. Ces grandes Maisons sont souvent compliquées pour les jeunes diplômés car les postes y sont généralement très spécialisés, avec une mission précise, et ne sont donc pas optimaux lorsque l’on souhaite avant tout développer de nouvelles compétences.Cependant, il est vrai que les expériences dans les Maisons reconnues ouvrent de nombreuses portes car elles sont une forme de garantie pour le recruteur.
J’ai personnellement commencé ma carrière professionnelle comme vendeuse chez Pierre Hermé, à l’époque où c’était encore une toute petite structure dans laquelle il fallait faire ses preuves par le bas. Cela permettait d’avoir des responsabilités plus facilement que dans une maison déjà établie, et donc d’avoir des arguments complémentaires en entretien.
Quel est votre nouveau secteur d’activité et quelles différences avez-vous remarqué avec le secteur du luxe ?
Après deux ans de réflexion et reconversion, je travaille depuis fin 2021 dans une entreprise de conseil en financement public : l’objectif est d’accompagner des entreprises de tout secteur et toute taille sur la recherche et l’obtention d’aides publiques pour leurs projets de développement. Ce métier est très complet car on aborde les thématiques d’innovation, d’investissements, de business plan, de prévisionnel et on a une vision globale de la stratégie du client.
C’est également un nouvel univers de travail avec des collègues aux profils souvent scientifiques. Avec l’expérience, je me rends compte que j’ai désormais plus de distance vis à vis de mon travail : je suis impliquée et engagée mais je sais aussi mettre plus facilement des limites pour me préserver ainsi que ma vie personnelle.
Pour finir, j’aimerais souligner ce besoin de recul : tout emploi salarié reste un travail pour lequel personne n’est irremplaçable, même dans l’univers du luxe où on a parfois l’impression que les collaborateurs sont tous des passionnés.
L’aura des grandes Maisons du luxe peut parfois éblouir mais il faut savoir rester objectif et remettre en question en douceur certaines règles si elles ne nous conviennent pas ou changer d’entreprise.
Réalisé par Alix Marchand Tonel