Si le digital remet en question les codes de communication et de distribution des enseignes de luxe, il ne doit pas pour autant être considéré comme opposé au développement des enseignes de prestige car il représente autant d’enjeux que d’opportunités. Les nouveaux outils digitaux ouvrent de nouvelles perspectives en termes de connaissance client, de personnalisation et d’expérience.
Pour vous aider à y voir plus clair et à briller lors de votre prochain entretien de stage, voici un condensé des idées principales sur le sujet !

Pourquoi le digital semble incompatible avec le développement des marques de Luxe?
« Internet brise les barrières du temps et de l'espace, deux piliers essentiels de la création de de valeur dans le luxe ». Avec cette déclaration l’auteur J.N. Kapferer (Auteur de Luxe. Nouveaux challenges, nouveaux challengers) résume parfaitement la relation compliquée entre le digital et le luxe. Le Marketing-Mix adapté aux biens de luxe se caractérise par un produit de rêve, un prix d’écrémage, une politique de distribution sélective et une promotion discrète communiquant sur l’identité forte de la marque. Les points de vente physiques, rares et exceptionnels, aident les enseignes à maintenir cette aura d’inaccessibilité, de savoir-faire et d’enchantement. A l’opposé, le digital se caractérise par l’ubiquité, un accès gratuit généralisé et la démocratisation de l’information. L’expérience est réalisée de façon anonyme via un écran aux interfaces standardisées, qui sont communes et partagées par d’autres, réduisant ainsi la sensation d’être privilégié et reconnu, entretenue par les enseignes de luxe.
Le digital a pour autre conséquence le renversement du modèle classique de la communication et redonne du pouvoir aux consommateurs. Le comportement des individus est symbolisé par l’acronyme « Atawad » (Any time, anywhere, any device). Ils ont la possibilité de se connecter quel que soit le lieu, quel que soit le moment, quel que soit le support/terminal utilisé. En quelques secondes ils peuvent avoir accès à un volume considérable de contenu. Cette évolution contraste avec le sentiment de distance et d’inaccessibilité propre au Luxe. Les marques n’ont plus vraiment la possibilité de contrôler en totalité leur image et de dicter leur vision, c’est les consommateurs qui choisissent l’expérience qu’ils veulent vivre. Ils n’hésitent d’ailleurs pas à manifester leur mécontentement. Alors que nous sommes en moyenne exposés à 3.000 messages publicitaires par jour (Digital marketing 2018 ; Electronic Business Group) il devient plus difficile de capter leur attention. Les consommateurs sont désormais à la recherche de contenus plus engageants et plus pertinents. Le succès de logiciels tels que ‘Ad-block’ témoigne de cette insatisfaction envers la pression commerciale en ligne.
Le pouvoir du consommateur est particulièrement fort sur les réseaux sociaux qui posent une difficulté supplémentaire aux marques de luxe, qui doivent orchestrer habilement la distinction entre marque premium et communauté de masse. Instagram et Facebook constituent des espaces de discussion textuels et visuels privilégiés dans lequel tout le monde à une voix égale pour donner son avis librement et partager son expérience. Les consommateurs créent leurs contenus et participent activement à la construction (ou à la destruction) de la réputation des marques. Pour maîtriser au mieux leur image et recruter une clientèle plus jeune, les marques de luxe doivent donc développer leur présence sur les réseaux sociaux avec un contenu à forte valeur ajoutée, difficile à produire sur un écran de quelques centimètres, ou en se limitant au format « carré » Instagram.
Face aux géants du e-commerce tels que Asos ou Amazon, les sites e-commerce des marques de luxe ne semblent pas compétitifs et ont beaucoup de retard à rattraper. Au-delà des services, le succès de ces géants de l’e-commerce réside dans leur catalogue extrêmement large qui rend plus difficile la fidélisation des consommateurs. Les marques de luxe qui cultivent la rareté afin d’augmenter la désirabilité des produits considèrent l’e-commerce inadapté à une image de prestige. Par exemple en collaborant avec Amazon, elles s’exposeraient à rendre leurs produits trop ‘accessibles’ malgré des prix élevés. Les produits de luxe se retrouveraient mêlés à des articles lambda tels que des produits ménagers ou des livres auxquels les marques de luxe ne veulent pas être associées. Ce challenge s’est encore corsé ces dernières années avec l’apparition d’acteurs tels que 24 sèvres ou Net-à-porter, spécialisés dans les grandes marques.
Si les marques de Luxe ont longtemps été réticentes à se lancer sur le digital par crainte de mettre en péril leur image sélective, leur clientèle, a depuis longtemps adopté les outils digitaux comme les réseaux sociaux et l’e-commerce. Face à ces évolutions et face à la croissance mondiale des ventes en ligne, une stratégie exclusivement off-line n’est pas soutenable sur le long terme. Le digital peut offrir aux entreprises de luxe des opportunités de s’adapter à son temps et de rester pertinentes sur le long-terme. Au lieu d’être perçues comme des menaces, les avancées technologiques doivent être utilisées comme des opportunités d'améliorer les expériences et les perceptions des consommateurs vis-à-vis de leurs produits !
Quelles opportunités pour les marques de Luxe qui adoptent une stratégie digitale?
Investir dans l’e-commerce permet aux marques de mieux contrôler leur distribution. Dans le cas contraire, elles laissent leur commercialisation aux canaux indirects qui ne garantissent pas une relation directe et privilégiée entre les marques et leurs clients. Elles laissent également le champ libre à des revendeurs non autorisés (marchés gris) qui mettent en ligne les produits dans un environnement dévalorisant et à des prix cassés.
Le digital est aussi une opportunité pour les marques de Luxe de dynamiser leur image et de capter des futurs clients potentiels, plus internationaux et connectés, comme les Millennials, futurs clients des produits de luxe. Selon les estimations publiées par le Boston Consulting Group en février 2018 ils représenteront 50 % de ce marché en 2024. Pour cette génération, la technologie est la norme et l’e-commerce est ancré dans son mode de consommation. Les millennials influencent particulièrement le marché des cosmétiques. Leur culture de partage de « selfies » les pousse à soigner leur apparence en permanence, ce qui bénéficie au secteur du maquillage. Pour ne pas manquer cette opportunité, les enseignes doivent s’adapter et chercher à capter l’attention de ce segment habitué au digital, qui ne remarque même plus les messages publicitaires.
Le digital multiplie les points de contacts avec les consommateurs et multiplie les possibilités des marques d’interagir. L’idée selon laquelle l’expérience client du luxe et des cosmétiques s’effectue essentiellement sur les canaux non-digitaux est remise sérieusement en cause. Le parcours client n’est plus un modèle linéaire constitué d’une visite en magasin et d’un achat presque instantané. Le parcours client est prolongé par le digital, même l’expérience en magasin commence via les canaux digitaux. Les consommateurs recherchent des informations sur leurs produits avec le mobile, consultent les avis, comparent les prix sur différents sites. Ils choisissent d’acheter soit sur les sites officiels, soit en ligne, soit en magasin. Pour les marques de cosmétiques de luxe, c’est une occasion de créer et renforcer la relation avec sa clientèle en interagissant avec eux à chaque étape de leur parcours, de façon personnalisée et pertinente.
Au lieu de l’aseptiser, la technologie a également introduit de nouveaux outils qui permettent d’améliorer considérablement l’expérience du luxe. Les systèmes de collection et d’analyse de données, d’automatisation des campagnes, de ‘Precision Marketing’ et de gestion de plateformes sociales et d’e-commerce sont autant d’occasions de mieux connaître leur client, de mieux personnaliser leur offre et leur message pour envoyer « le bon message, à la bonne personne, au bon moment.
Quels sont les leviers digitaux que les marques de luxe peuvent exploiter pour maintenir une image sélective et prestigieuse même au travers d'un écran?
La personnalisation produit grâce aux nouvelles technologies : Les services favorisés par la technologie permettent aux marques de Luxe de se démarquer et de lutter contre la tendance de « massification des produits » , tendance particulièrement notable dans le secteur des cosmétiques et des accessoires. Sur son site, Guerlain propose le service « Rouge G », dans lequel les clients voient les produits en 360° et en 3D pour une expérience plus immersive. Ils peuvent ensuite personnaliser l’écrin d’emballage. De son côté la marque Yves-Saint-Laurent propose également un service pour graver une inscription sur le bouchon de ses produits. Du choix de la matière et de la couleur de son sac, a l’essayage de lunettes avec une webcam, les marquent adoptent la technologie pour offrir une expérience irréprochable et ainsi proposer un produit absolument unique et adapté aux envies de chacun. Cela serait difficilement réalisable sans le digital.
Du Big Data au Smart Data : Ayant longtemps eu le vent en poupe, le Big Data n’est pourtant pas si intéressant pour les enseignes prestigieuses. En effet le Big data implique l’exploitation de gros volumes de données, mais qui ne sont pas exploitables, pas pertinentes et qui posent des problèmes d’intrusion de la vie privée. L ’approche ‘smart data’ permet d’interpréter des données moins nombreuses mais plus pertinentes pour alimenter les pratiques de personnalisation et de fidélisation. Elle permet de comprendre par exemple quand et pourquoi les internautes n’ont pas converti leur visite en achat pour ensuite déployer une stratégie pour éviter les abandons dans le tunnel de conversion. Bientôt les analyses prédictives, fondées sur les algorithmes d’intelligence artificielle et sur le smart data, seront une partie intégrante des processus des méthodes de marketing digital, comme le CRM, pour améliorer l’expérience de chaque utilisateur, qui constituera à lui seul un segment unique de marché.
Le renforcement de la relation client grâce au CRM : Grâce aux outils numériques et du smart data, la mise en place d’un CRM prédictif est désormais possible. Le croisement de données provenant de différentes sources permet de d’anticiper le comportement futur d’un consommateur en analysant son comportement passé. Les champs d’application du prédictif sont multiples : prédire l’attrition d’un consommateur, suggérer des produits complémentaires, réactiver un achat etc. Pour marquer sa différenciation sur le marché américain face aux purs-players comme Amazon, la marque Kiehl’s (L’Oréal) mise sur un service fidélisant qui maintient des coûts d’acquisition bas. Elle utilise des données prédictives et un traitement dynamique à travers l'IA (Intelligence Artificielle) pour déterminer la vitesse de consommation des produits que les clients ont commandé et leur suggérer de le racheter au moment opportun via un email, ou Facebook messenger ou encore un sms.
En conclusion ?
Les entreprises doivent s’adapter aux exigences d’un client omnicanal, puissant, en quête de sensations plus que de produits. Pour cela elles doivent réinventer l’expérience de marque et de consommation. Elles ne doivent pas considérer les outils digitaux comme un frein mais comme une opportunité d’améliorer considérablement leur image et leur expérience de marque. Le digital ne la dégrade pas. Bien utilisé au contraire, il l’amplifie. Il permet de renforcer la relation client en apportant un niveau de personnalisation supérieur grâce à la collecte de données. Il permet aussi de préserver l’enchantement de la clientèle et l’émotion grâce à une curation des contenus pensés pour les supports digitaux, qui impliquent véritablement le consommateur dans une logique de co-création. Enfin, il facilite leur fidélisation grâce à des méthodes CRM poussées dans laquelle la marque est capable de les reconnaître et de les conseiller.
Réalisé par Noémie Lintz & Alix Armandon